Eugène Lambourdière dit « Maurice »

(Né en 1948 à Pointe à Pitre)

 

Les collages de Maurice

 

Il faut tenir le rythme avec Eugène Lambourdière, dit « Maurice »… Quand le collectionneur Éric Gauthier l’a découvert en 2017, Maurice vivait dans la rue et dessinait au stylo bille sur papier de format A4. Il dessinait des plans d’« objets volants identifiés » de son invention – premiers dessins présentés à la galerie du Moineau écarlate en février dernier.

Depuis lors, Maurice dispose d’un toit, d’une « chambre à soi »… Il a commencé à travailler avec du papier de plus grand format, a construit quelques maquettes de ses machines volantes et s’est également lancé dans des collages, avec la même frénésie que dans sa pratique du dessin. Cette technique lui permet de mettre en scène tout son univers – dessins de ses inventions, images mystiques et populaires, documents personnels, interprétations ésotériques de son cru, etc. Le collage lui a également donné l’opportunité d’entrer lui-même en scène, par le biais d’autoportraits empreints d’humour et d’ironie, mais aussi et surtout de continuer à rétablir quelques vérités toutes personnelles sur la religion…

 

Des premiers usages du collage…

Les premiers dessins de Maurice – du moins ceux qui ont été conservés – révèlent déjà un usage du collage, étroitement associé à celui de la photocopie. Comme tout inventeur, Maurice a rempli des formulaires pour déposer ses plans à l’INPI (Institut national de la propriété intellectuelle). C’est sans doute en remplissant ces fastidieux dossiers de dépôt qu’il a commencé à découvrir les merveilleuses facultés de la photocopieuse : reproductibilité certes, mais aussi pouvoirs d’agrandissement et de réduction… Il a ensuite eu l’idée d’exploiter ces capacités dans ses dessins où il use de certains motifs récurrents qu’il laisse la machine reproduire ! Il peut utiliser la page photocopiée comme support d’un nouveau dessin, ou alors découper les éléments qui l’intéressent pour les coller sur de nouvelles feuilles de papier destinées à de nouveaux plans.

On repère ainsi la présence insistante d’une pièce de monnaie. L’objet n’est certes pas anodin pour quelqu’un qui a vécu plus de trente ans dans la rue. Mais du point de vue de l’art, cette petite pièce sans valeur, photocopiée et collée sur un dessin original, confronte avec une certaine ironie à la question de la valeur de l’œuvre d’art. Toujours est-il que Maurice semble faire fi de la différence entre original et photocopie : il est vrai qu’il se considère bien davantage comme un inventeur, investi d’une mission, que comme un artiste. Par ailleurs, cette pièce de monnaie est britannique, à l’effigie de la reine d’Angleterre. Ce qui fait également sens, de manière plus « biographique »…

Le drapeau britannique surgit lui aussi fréquemment : il peut être directement dessiné par Maurice ou issu d’une publication quelconque, puis photocopié, découpé et collé. On est tenté de le rattacher à un moment crucial de la vie de l’auteur qui raconte qu’il y a bien longtemps sa femme l’aurait quitté pour partir vivre en Angleterre avec leur enfant…

On retrouve également sous forme de collage le logo que Maurice a conçu, représentant la planète et estampillé « karibi center diffusion », nom de la société internationale inventée par l’artiste qui semble ne pas oublier sa Caraïbe natale. En fait, Éric Gauthier lui avait proposé de lui faire fabriquer un tampon pour authentifier ses photocopies. Mais alors que le galeriste se demandait encore si c’était une bonne idée, Maurice a pris les devants et a dessiné un logo. Le tampon, finalement livré, doté d’un message qui est évidemment du cru de l’artiste – « Vu pour L’égalisation.  Matériel de L’expertise » – est à son tour entré dans la plupart des compositions. Maurice s’est mis à tamponner les photocopies de ses œuvres… de même que les originaux !

Lorsque Maurice a commencé à être représenté par une galerie, il s’est naturellement mis à penser « communication » et produits dérivés… Ainsi, à l’approche de Noël, à la fin de l’année 2018, il a proposé des calendriers de sa confection. Il a utilisé un petit calendrier qu’il a photocopié, puis collé sur du papier cartonné de couleur. Chaque calendrier a été personnalisé grâce à d’autres collages consistant dans les propres dessins de Maurice. On retrouve ainsi des machines de son invention et des images qui appartiennent à son alphabet iconographique, tels les personnages très librement inspirés d’une bande dessinée des années soixante intitulée Nevada– une sorte de western dont Maurice tire de petites histoires qui l’amusent beaucoup et qui n’ont vraiment rien à voir avec le scénario d’origine.

Il reste que cette expérience montre que le collage semble permettre à Maurice d’opérer une synthèse de toutes ses problématiques de prédilection.

 

… aux grands rébus surréalistes

L’œuvre de Maurice évolue évidemment en fonction de son contexte de création. Au printemps 2017, Maurice a été hébergé chez un graphiste, ce qui lui a permis d’explorer de nouveaux outils et supports. Il s’est par exemple emparé d’une ramette de papier A3 et s’est mis à dessiner sur de plus grands formats. Et il s’est lancé dans la pratique du collage, ce que ne lui permettait pas matériellement sa vie dans la rue. Les motifs découpés et collés se sont agrandis et diversifiés, mais sans déroger à l’univers de Maurice.

Si ces œuvres restent hybrides, mêlant dessins et collages, les éléments découpés et collés prédominent qui permettent bien de les appeler « collages ». Si Maurice ne s’intéresse absolument pas à l’histoire de l’art ou à ce que d’autres artistes ont pu faire avant lui, il reste que sa pratique du collage hérite de la charge de revendication, de provocation, de subversion et d’humour noir qu’elle pouvait avoir chez les dadaïstes et les surréalistes. Les collages de Maurice ne sont pas saturés d’images superposées comme dans les œuvres dadaïstes qui criaient leur dégoût du monde en guerre. Ils sont investis d’une fonction de transmission, comme la quasi totalité de ses dessins, mais sous la forme de sortes de rébus.

Chaque image, autonome, semble chargée d’une symbolique propre, et résonne par association avec les autres images collées de manière disparate sur le support. Le sujet est principalement religieux, ésotérique : les images font référence à des épisodes de la Bible et à des accessoires de rituel. Mais les liens que Maurice établit entre ces images lui permet d’élaborer une interprétation personnelle qu’il relie à son propre univers : en y ajoutant des dessins de ses inventions ou issus de son répertoire « Nevada » par exemple, mais aussi des photographies de sa nièce et de lui-même. Maurice apparaît dans certains de ses collages, avec un air de maîtrise glorieuse, ironique et dérisoire : coiffé d’un casque de policier britannique, appuyé avec désinvolture sur deux cercueils superposés, fumant un joint devant un cercueil ouvert… Cet humour noir qui imprègne ces œuvres, notamment celles comprenant des autoportraits, commencent bien à constituer l’univers de Maurice comme une critique grinçante de notre monde ou de notre compréhension du monde.

Rien d’étonnant à ce que Maurice ait investi avec autant d’aisance la pratique du collage : les surréalistes l’adoraient parce qu’elle permettait de créer au rythme des images et associations surgies de l’inconscient.  Et, dans l’exercice de l’association d’idées, Maurice est imbattable : ses commentaires sur ses créations s’apparentent à un jeu effréné de « marabout-bout de de ficelle-selle de cheval… », mêlant citations de textes religieux, jeux de mots, histoires drôles, extraits de chansons, etc. Les possibilités d’interprétation deviennent vertigineuses, alors on se contentera de dire que ces collages reflètent plastiquement les poèmes singuliers qui se jouent dans l’esprit de leur auteur.

 

Céline Delavaux, septembre 2019

 

 

Maurice arrive à Paris avec ses parents à l’âge de onze ans.

Maurice est un inventeur, il ne se considère pas comme un artiste. Il crée des plans et vues d’« objets volants identifiés », drones dont l’énergie motrice est sans limite, ainsi que les pièces mécaniques qui les constituent…mais pas seulement. Le champ de ses inventions couvre tous les domaines de la connaissance humaine, de la médecine à l’astrophysique. Il donne également dans ses dessins et textes des réponses aux grands mystères comme le triangle des Bermudes, le cycle de l’univers ou encore  la quatrième dimension. Sa mythologie personnelle intègre à la physique des éléments ésotériques, franc-maçonniques et fait référence aux textes sacrés la bible, le coran et la torah…

Il décrit son parcours, s’attachant aux lieux et circonstances très précises qui l’ont entouré. Il parle de mille métiers, journaliste, graphiste, apprenti métayer,… quelques mois dessinateur dans la signalisation pour les Ponts et Chaussées à Cergy Pontoise, cuisinier à l’hôpital Marmottan, factotum dans le quartier du sentier … Dans ces récits, il se projette toujours maitre de la  situation, en prison il sort avec la nièce du directeur… à l’hôpital il devient vite polyvalent…

Sans abri, il alterne depuis trente-cinq ans, refuge temporaire, squatts et la rue.

Il trace à l’aide d’une carte magnétique au stylo bic, les plans de ses inventions sur des feuilles format A4, qu’il photocopie, retravaille et range dans un classeur. Sur chaque dessin, les symboles franc-maçonniques, l’équerre, le compas, l’œil de l’architecte et le cordeau du maçon côtoient le drapeau anglais.