Fabienne Rousseau

« I draw flowers every day and send them to my friends so they get fresh blooms every morning. » — David Hockney

  • Fabienne Rousseau — art brut contemporain / outsider art, scène expressive.

« J’espère que tu vas bien. Moi ça va. »
C’est avec cette phrase minuscule, presque effacée, que s’ouvre souvent le travail de Fabienne Rousseau. Une formule anodine, mais qui installe d’emblée une présence. Cette même phrase a donné son titre à sa première exposition, comme pour rappeler que rien, dans son œuvre, n’existe sans destinataire. Fabienne Rousseau adresse toujours ses dessins à quelqu’un, présences essentielles, qui semblent rendre possible son geste.

Ses dessins prennent la forme de petits formats, carnets ou cartes, accompagnés de courts commentaires : « juillet 2021. baigner à la plage avec la planche chez Yvette » ; « je me suis promené et j’ai goûté à Lourdes avec les Autres. L’éducatrice a pris une photo » ; « aquagym piscine » ; « à Muret du 18 au 26 avril 91 ». Autant de notations simples, précises, presque documentaires, qui fonctionnent comme des preuves d’existence : voici ce que j’ai fait, voici ce que j’ai vécu.

Car Fabienne observe son quotidien dans l’institution pour adultes autistes où elle vit avec une attention presque protectrice. Rien ne lui échappe : les gestes répétés, les repas partagés, les sorties programmées, un jardin aperçu trop vite, une route parcourue avec les autres. Tout trouve sa place dans la page, avec une justesse qui n’a pas besoin d’emphase.

Ce qui frappe immédiatement, c’est sa manière de dessiner : à deux mains, simultanément. Comme si l’équilibre de son regard exigeait une symétrie, comme si ses mains devaient avancer ensemble pour accueillir ce qui compte. Ce geste particulier donne à ses images une vibration discrète, une densité qui ne se fabrique pas. On a l’impression qu’elles pensent en même temps.

Ses couleurs affirment plus qu’elles ne décorent : des jaunes qui prennent toute la lumière, des verts solides, des rouges sans hésitation. Une palette franche, qui semble parler là où les phrases s’arrêtent. Cette capacité à saisir l’instant m’évoque Hockney sur son iPad ; mais ici, tout passe par la matérialité du papier, par la friction du stylo, par la patience têtue du geste. La lumière n’est pas numérique : elle naît du temps et de l’obstination douce de ses mains.

Sa vie dessinée — faite de déplacements, de bains, de routes, de visages, de petites scènes ordinaires — pourrait sembler banale. Et pourtant, elle devient essentielle. C’est peut-être cela qui bouleverse : cette intensité silencieuse, cette dignité obstinée qui habite chaque fragment du réel. Rien n’est dramatisé, rien n’est amplifié, mais rien n’est jamais insignifiant.

Regarder un dessin de Fabienne Rousseau, c’est entrer dans un monde qui ne cherche pas à briller, mais qui brille tout de même. Un monde construit par une douceur tenace, par une fidélité sans faille à ce qui arrive.

Pour sa première exposition, ses œuvres sont entourées d’autres dessins d’anonymes et d’artistes découverts par Éric Gauthier : une communauté invisible, qui fait écho à ce geste d’adresse et de partage. Ensemble, ils composent un territoire où l’ordinaire devient une matière sensible, où chaque trace affirme une présence.

Une voix discrète, persistante.
Une voix qui écrit en couleurs.